La puissance de la Presse : Autopsie d'un quatriéme pouvoir
Le pouvoir : une notion complexe
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e pouvoir a
aujourd’hui plusieurs sens. Venant du verbe homonyme, qui signifie «avoir la
possibilité, la capacité de », le pouvoir désigne, au sens
interactionniste, l’aptitude d’un agent donné d’obtenir d’un autre agent qu’il
fasse une certaine action, consciemment comme inconsciemment. En outre, il
désigne, au sens institutionnaliste, les gouvernants tandis qu’au sens général,
le pouvoir représente la faculté d’agir propre à un être humain. Burke, homme
politique et philosophe irlandais du XVIIIème siècle, parle dès 1787 de la
Presse comme d’un quatrième pouvoir. Il est repris près de 46 ans plus tard par
Alexis de Tocqueville qui, dans son œuvre majeure intitulée De la démocratie
en Amérique, dresse une nouvelle classification du pouvoir où il distingue
le pouvoir central (exécutif, législatif et judiciaire), le pouvoir local (les
pouvoirs fédérés), le pouvoir associatif (les lobbies) de la presse écrite.
C’est en effet un contre-pouvoir par excellence, dans la mesure où elle
« n’a d’autre d’autre pouvoir que celui d’arrêter les pouvoirs »
(Gauchet) et qui permet en outre d’informer les individus tout en forgeant une
opinion publique. Cependant, son influence est désormais à relativiser, car la
presse n’est plus perçue de la même manière et semble s’être domestiquée.
La Presse : un acteur politique
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a Presse est l’un des pouvoirs principaux du peuple : elle le représente et assure par ailleurs une fonction politique importante, étant donné qu’elle est un lien direct entre le citoyen et le politique ; et même un pouvoir contre ce dernier. En effet, en dehors du cadre institutionnel, elle possède le rôle d’arbitre, ce qui lui confère de plus une certaine légitimité auprès du politique. Ainsi, la presse est un contre-pouvoir puissant dans le cadre de la théorie de la séparation des pouvoirs de l’écrivain et philosophe Montesquieu, dans lequel chaque branche doit exercer un contrôle sur les autres afin de maintenir l’équilibre mis en place par la constitution. Le rôle de la presse donc en quelque sorte celui d’un gardien du jeu démocratique, surveillant en quelques sortes nos gouvernants. De plus, la Presse joue un rôle fondamental pour l’opinion publique, base de la démocratie. Grâce à cela, les gouvernants sont obligés de composer avec ; de prendre en compte ses préoccupations et d’adapter leur comportement en fonctions de celles-ci. La presse a donc le pouvoir de forger le jugement public dans le cadre d’un régime représentatif : il faut par conséquent qu’elle soit autonome du pouvoir politique, mais en même temps lié à ce dernier pour pouvoir jouer son rôle de contre-poids, un rôle qu’il joua parfaitement à plusieurs reprises. L’Histoire nous fournit à cet égard un certain nombre d’exemples, comme son importance dans l’affaire Dreyfus, qui n’est devenue une « affaire » que grâce à la publication par Zola dans l’Aurore de son célèbre « J’accuse » dans une lettre ouverte au Président de la République Felix Faure le 13 janvier 1898 (voir fin d’édition).
La Presse, influence de la société
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a Presse n’a pas
seulement un pouvoir du point de vue politique: elle conserve aussi un pouvoir
d’influence sur le comportement des individus, grâce notamment à une diffusion
d’informations spécialisées et une
certaine attraction auprès de ses lecteurs.
Le Sociologue Luc
Boltanski, condisciple de Pierre Bourdieu, démontre tout d’abord que la presse
possède une capacité élevée de retenir l’attention, même si cela n’a aucune conséquence directe sur le plan de
l’action, principalement en jouant sur la sensibilité. Il semblerait ainsi que
le traitement de la souffrance soit le principal point d’accroche par du
lecteur la presse.
De plus, la presse peut nous influencer
indirectement, en sélectionnant l’information, et directement, en l’adaptant à
son point de vue. Ce pouvoir de nous informer comme elle le veut a des conséquences
sur notre comportement : plusieurs études ont été faites démontrant la
capacité de la presse à cristalliser des élections. De plus, les journaux
engagés peuvent conserver une part d’électorat en adoptant des positions
politiques différentes voire même totalement opposées. Par exemple, une enquête
menée par le courrier international anglais The
Observer à tendance libéral a montré que ses électeurs étaient composés de
15% de libéraux contre plus de 57% de conservateurs et 25% de
travaillistes ; ce qui démontre une volonté lors d’élection d’éluder de la
part d’individus des points de vues qui ne correspondent pas aux leurs. Cette étude montre aussi que les
discours partisans exercent une influence uniquement sur un public déjà
conquis.
Cependant, il est aussi démontré que la
presse possède moins d’influence que la pression exercée sur les individus par
les « groupes primaires » (famille, proche, amis, etc…) mais aussi
que notre capacité à être influencé dépend de notre confiance en soi : une
forte estime de soi renforce notre résistance vis-à-vis de la presse alors
qu’une période d’incertitude et de doute peut être à l’origine d’une forte
dépendance vis-à-vis de la presse. C’est en tout cas la thèse du « other
directed » du sociologue
américain Riesman.
Un instrument
du pouvoir économique et politique
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’une part, la
presse semble être aujourd’hui domestiquée, principalement par le système
économique et politique. D’un point de vue économique, les oligopoles mondiaux
de l’information et de la communication sont la propriété de puissants
groupes industriels, bancaires et financiers. Ils deviennent ainsi les
principaux relais des intérêts de ces multinationales. Par exemple, Le Figaro appartient depuis 2004 à Serge Dassault, également propriétaire
de Dassault Aviation. Ainsi, ce dernier aurait, selon le quotidien Le Monde, exercé une pression sur la
rédaction du plus vieux journal de France. C’est en tout cas ce dont se
plaignent des journalistes du Figaro. Serge
Halimi, auteur des Nouveaux chiens de
garde, dénonce également le pouvoir des grands patrons de placer ou
déplacer les journalistes selon leur volonté, les obligeant de plus à rester
dans un cadre de pensée qui leur correspond.
Par ailleurs, la presse semble souffrir
d’une influence politique. Ainsi, dans son ouvrage paru en 2003 et intitulé Ce que les journalistes politiques ne
racontent jamais, Daniel Carton ancien journaliste au Monde et au Nouvel
Observateur dénonce les
relations entre politiques et journalistes, parfois plus qu’amicales. Par
exemple, en 1997, Michel Rocard qui connaissait la direction du journal a
demandé à l’hebdomadaire Le Nouvel
Observateur de démentir une
information publiée dans ses colonnes alors que cette dernière était pourtant
vraie.